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Nouvelle direction bifacultaire du CRIEM : entretien avec Pascal Brissette et Nik Luka

Pascal Brissette and Nik Luka
ʳܲé: 26 January 2022

La direction du Centre de recherches interdisciplinaires en études montréalaises (CRIEM) est désormais bifacultaire! À son affiliation originale à la 󲹳ܱé des arts, le CRIEM se rattache maintenant aussi à la 󲹳ܱé de génie de l’Université ϲʿ. Cette affiliation double se manifeste notamment par la nomination d’un tout nouveau directeur associé. Nik Luka, directeur intérimaire du CRIEM de 2020 à 2021, se joint dorénavant à Pascal Brissette à la tête du centre. Ce changement a été rendu possible grâce à la collaboration des doyen·ne·s Mary Hunter et Jim Nicell.

« Le CRIEM est un centre exceptionnel qui excelle depuis longtemps dans la recherche et les collaborations interdisciplinaires. C’est un plaisir pour nous que la 󲹳ܱé de génie s’associe à la 󲹳ܱé des arts, et nous nous réjouissons de travailler ensemble grâce aux études et aux discussions dynamiques du CRIEM sur Montréal. » — Mary Hunter, doyenne intérimaire de la 󲹳ܱé des arts

« Le travail entrepris par le CRIEM est d’une importance capitale, mais je pense que son impact peut être amplifié par une collaboration avec les ingénieur·e·s, les architectes et les urbanistes. Les villes, les bâtiments et les infrastructures de soutien sont au cœur de l’expérience humaine quotidienne. Il est donc logique que les responsables de l’environnement bâti soient informé·e·s des perspectives des sciences humaines et vice-versa. Les partenariats entre ces disciplines peuvent déboucher sur des travaux très importants. » — Jim Nicell, doyen de la 󲹳ܱé de génie

Pour mieux comprendre ce qu’implique cette nouvelle forme de gouvernance, l’équipe des communications s’est entretenue avec les deux directeurs.

Ce n’est pas très commun pour un centre de recherche de faire partie de deux facultés universitaires. Pensez-vous que cela témoigne d’une meilleure compréhension, de nos jours, de l’importance de la recherche interdisciplinaire? Comment pensez-vous que cela encourage les dialogues entre les départements universitaires?

Pascal Brissette (P.B.) : « Je crois qu’il y a eu par le passé des modèles de centres similaires, à cheval entre deux facultés. Ce qu’on voit le plus souvent, cependant, ce sont des chercheur·se·s de plusieurs facultés réuni·e·s au sein d’un même centre, lui-même ancré dans une seule faculté. Les centres de recherche bifacultaires sont un peu plus rares, mais de toute façon ce n’est pas tout à fait le cas en ce moment. À ϲʿ, il y a un règlement qui oblige un centre de recherche à être affilié à une faculté maîtresse – pour nous, c’est la 󲹳ܱé des Arts.

« Cela étant dit, sur la question de la valorisation, je crois que nous sommes vraiment à un point où cette valorisation va croître. Pourquoi? Parce que nous faisons face comme civilisation à des enjeux extrêmement complexes : changements climatiques, pandémie, etc. Ces enjeux complexes ne peuvent être réglés par un·e seul·e spécialiste dans une seule discipline. C’est impossible. Il faut absolument réunir des équipes multidisciplinaires qui vont échanger, croiser les données, donc travailler vraiment en interdisciplinarité, par le croisement des savoirs, des connaissances et des données pour, au final, offrir des recommandations – c’est-à-dire établir des consensus. Prenons l’exemple des recommandations du GIEC [Groupe d’expert·e·s intergouvernemental sur l’évolution du climat], ou les recommandations que font les agences de santé publique régionale à la santé publique nationale. Ces exemples-là montrent qu’on est dans un monde qui prend de plus en plus conscience de la limite de la division des savoirs et du travail en vase clos : chacun·e dans sa sphère, dans sa faculté, dans son département, et ainsi de suite. Les chercheur·se·s n’ont plus le choix, pour arriver à changer les choses, de mettre les savoirs ensemble, de les croiser et de s’entendre sur des conclusions pour que l’action s’ensuive. L’interdisciplinarité ne suffit pas, cependant. Pour que la science fournisse des questions, des hypothèses, des modèles, parfois des réponses, il faut que les pouvoirs et les citoyen·ne·s prennent le relais. Même si on mettait plusieurs scientifiques de toutes sortes de disciplines ensemble dans une même salle, rien ne va se passer à l’extérieur s’il n’y a pas cette communication, s’il n’y a pas ces liens, ces relais. Les grands enjeux comme les changements climatiques supposent non seulement un meilleur travail interdisciplinaire, mais également une meilleure concertation, une meilleure compréhension des enjeux mutuels du politique et du scientifique. C’est pour ça qu’un partenaire naturel et très important du CRIEM est la Ville de Montréal, mais également le gouvernement du Québec. Ce qui se passe ici, ce qu’on essaie de changer, c’est un peu dans la culture. Depuis le 18e siècle, il y a une division toujours plus grande des disciplines, une étanchéisation des frontières, et là je crois qu’on a atteint la limite de ça et qu’il y a une sorte de retour du balancier qui nous amène, en raison de grands enjeux civilisationnels, à retourner à une perspective plus globale. »

Nik Luka (N.L.) : « La réponse, c’est oui. Ça témoigne de quelque chose de très important que j’aurais voulu voir quand j’étais encore à la maîtrise, mais mieux vaut maintenant que jamais. Ça démontre quelque chose qui va au-delà de la volonté de collaborer [entre les facultés], soit une reconnaissance que ça prend des structures pour encourager ce genre de collaboration. On ne peut pas juste se dire « oui, c'est intéressant qu’il y ait des gens qui font des collaborations... », car il faut qu’il y ait une infrastructure institutionnelle pour les soutenir et “forcer”, en quelque sorte, ces collaborations. Le besoin de communiquer entre les facultés, par exemple, crée réellement des opportunités pour avoir des petites discussions et se poser des questions, comme « tu connais une personne qui travaille sur les images en génie civil? ». J’en suis convaincu, parce que mon poste officiel à ϲʿ est à cheval entre deux écoles [l’École d’architecture Peter Guo-Hua Fu et l’École d’urbanisme]. C’est grâce au fait que je suis obligé de courir entre ces deux écoles qu’il y a une meilleure communication entre elles. Je ne veux pas tomber dans une espèce de déterminisme environnemental, mais c’est sûr que notre direction bifacultaire témoigne d’un support institutionnel pour les collaborations interdisciplinaires et interfacultaires. C’est aussi une reconnaissance du fait qu’il faut créer des opportunités pour ça.

« C’est très encourageant et c'est grâce aux doyen·ne·s Mary Hunter et Jim Nicell, qui ont été très enthousiastes et partant·e·s, que nous pouvons faire partie de deux facultés. Il y a plein de facteurs à ϲʿ qui découragent les collaborations et les partages interfacultaires. Entre autres, il n’y a pas de système budgétaire qui permet une retombée fiscale si un·e étudiant·e de la 󲹳ܱé des arts suit un cours offert par la 󲹳ܱé de génie, par exemple. Les frais de scolarité ne vont pas suivre l'étudiant·e pour ce cours, contrairement à d’autres universités. C’est quelque chose de très administratif, mais qui décourage les départements et les facultés à s’ouvrir envers les autres. C’est toujours possible et il y a toujours une volonté, mais ce n’est pas facile. À la 󲹳ܱé de génie, je donne un cours ouvert aux étudiant·e·s des autres facultés et c’est important de le faire. Cependant, c’est encore plus important d'avoir des centres comme le nôtre qui deviennent des points de départ pour les collaborations interdisciplinaires et pour les projets qui joignent des gens de différents domaines. »

M. Brissette, comment est venue l’idée de bâtir une alliance entre les deux facultés? En tant que fondateur et directeur du CRIEM depuis 2013, est-ce que vous aviez déjà envisagé la possibilité de travailler avec la 󲹳ܱé de génie?

..: « Cette idée est arrivée très rapidement. Dès 2012-2013, quand Stéphan Gervais [aujourd’hui coordonnateur scientifique du CRIEM] et moi-même avons fait le tour des facultés, nous avons rencontré des administrateur·rice·s, des doyen·ne·s et des professeur·e·s de plusieurs facultés de ϲʿ et d’ailleurs pour savoir quelle était la contribution possible de ϲʿ aux études québécoises. Nous partions du Programme d’études sur le Québec (PÉQ), qui manquait de levier d’action et de financement. Nous pensions, nous étions persuadés que ϲʿ pouvait jouer un rôle plus important dans l’augmentation des connaissances sur la société québécoise. Toutes les autres universités ont des chaires de recherche, des grands centres de recherche en études québécoises. Il nous a semblé que le PÉQ, ce qu’il était en 2010, n’était pas le véhicule idéal, n’avait pas suffisamment de moyens pour accomplir cette mission importante. Nous nous sommes dit qu’il fallait changer les choses, consulter et réunir les forces vives, les chercheur·se·s de tous horizons qui s’intéressaient au Québec. Nous avons regardé attentivement ce qui était proposé dans les autres universités et quelle était la meilleure manière pour ϲʿ d’offrir une contribution avec une valeur ajoutée à ce qui se faisait ailleurs. C’est à ce moment-là qu’un centre de recherche sur Montréal a émergé comme idée. Un centre qui fédère la recherche sur les villes et Montréal, et qui soit une contribution originale de ϲʿ aux études québécoises. Pour répondre plus précisément à votre question, c’est dès le processus de consultation que nous sommes sortis de la 󲹳ܱé des arts. C’est tout à fait intéressant et atypique qu’un centre de recherche sur une ville naisse non pas au sein d’une 󲹳ܱé de génie où se trouvent les urbanistes, mais au sein d’une 󲹳ܱé des arts. C’est peut-être une particularité de Montréal, où les dimensions culturelles, linguistiques et historiques sont si importantes. J’ai le sentiment qu’il y a quelque chose de ça. Au sein de la 󲹳ܱé de génie, nous avions consulté Raphaël Fishler, qui était directeur de l’École d’urbanisme et vice-recteur à la recherche de l’époque [aujourd’hui membre associé du CRIEM]. Raphaël était intéressé et très intrigué par cette idée de centre sur Montréal et, bien sûr, il était partant pour y contribuer. Cela étant dit, il était évident qu’à peu près tou·te·s les autres spécialistes réuni·e·s au sein de l’École pouvaient offrir une contribution au centre de recherche, du moins ceux et celles qui travaillaient sur Montréal. Donc nous avons travaillé à l’époque avec Nik Luka, Lisa Bornstein, Ahmed El-Geneidy, Raphaël Fischler, Richard Sheamur, et j’en passe. »

M. Luka, pourriez-vous nous parler davantage de l’importance d’un centre de recherche sur Montréal au sein de la 󲹳ܱé de génie? Qu’est-ce que ce lien spécifique représente pour la 󲹳ܱé?

..: « Je peux dire, avec conviction, que l’École d’architecture et l’École d'urbanisme vont toujours chercher à s’impliquer dans leurs milieux, dans le sens où leurs activités pédagogiques amènent les gens à explorer la ville pour parler de ce qui est possible ainsi que les échecs du passé. Dans les autres départements de la 󲹳ܱé de génie, je pense qu’il y a plusieurs liens qui se tissent entre “l’industrie” et les départements, entre les chercheur·se·s et les étudiant·e·s. Une des choses importantes pour la 󲹳ܱé de génie est l’accréditation et la validation des gens dans la pratique via les universités. Les ingénieur·e·s doivent avoir une bonne compréhension des impacts de leurs activités sur la société. Ça fait partie des raisons pour lesquelles le CRIEM est d’intérêt pour cette faculté. C’est très facile dans un domaine plutôt technique et instrumentaliste – que ce soit en génie civil, en génie mécanique, en génie des bioressources, aménagement et urbanisme... – de se concentrer sur des questions techniques et d’infrastructure, puis d'oublier la politique et les impacts sur les êtres humains et non humains. Je pense que le CRIEM représente une opportunité pour approfondir l’engagement et la volonté de bien former les étudiant·e·s en génie. C’est un des aspects intéressants de notre alliance bifacultaire.

« Notre doyen explore actuellement une initiative qui s’appelle Engineering for Humanity. Celle-ci vise à préparer la prochaine génération d’ingénieur·e·s à résoudre des problèmes complexes grâce à une combinaison de connaissances techniques et sociales. Le CRIEM, même s’il est un centre interdisciplinaire, demeure axé sur des questions humaines, culturelles et sociales qui sont très importantes pour sortir de l’abstraction. Je pense que l’effervescence que l’on développe avec le CRIEM est exactement ce dont la 󲹳ܱé de génie a besoin. »

Quels sont les avantages pour vous de codiriger un centre qui est affilié à la 󲹳ܱé des arts?

..: « Les avantages sont très nombreux. Dans un premier temps, même si je fais partie des écoles d’architecture et d’urbanisme, je me considère comme ethnographe des paysages, donc je travaille avec des outils, des méthodologies et des épistémologies hybrides. Plusieurs de mes collègues travaillent comme ça aussi, car l’architecture et l’urbanisme sont des métadisciplines. Elles n’ont pas de façons de faire qui leur sont carrément propres. On utilise des outils et des façons de réfléchir ou d’encadrer des problématiques qui sont issues de la sociologie, de l’histoire de l’art et de l’anthropologie. Cette affiliation est donc super intéressante sur le plan épistémologique pour moi.

« Le deuxième avantage est plus “pratique”. Au Canada, en tant que professeur·e, il faut tout faire. Il faut être enseignant·e et exceller en pédagogie, il faut être chercheur·se et exceller dans sa contribution à la société avec des activités de recherche fondamentale, de recherche appliquée ou de recherche-création. Il faut aussi rendre beaucoup de services et remplir des obligations administratives, ce qui est très important à ϲʿ. Dans cette optique, il est intéressant d’avoir un rôle de direction dans un centre de recherche ou un institut. Cependant, cela représente une charge de travail considérable. Le fait que Pascal et moi puissions partager les responsabilités, ça rend le tout beaucoup plus facile. Nous avons une cellule de direction exécutive avec Audray Fontaine, coordonnatrice en transfert des savoirs, et Stéphan Gervais, coordonnateur scientifique. À mon avis, c’est beaucoup plus intéressant de travailler de cette façon que d’être comme un grand chef d’orchestre qui prend toutes les décisions.

« Troisièmement, je trouve ça vraiment formidable de pouvoir travailler en collaboration et que ce soit reconnu. C’est important parce qu’il y a beaucoup d’intérêt en principe pour la coproduction et l’interdisciplinarité; toutefois, lorsque vient le temps d’obtenir une reconnaissance officielle – pour un dossier de permanence, par exemple – on se fait demander ce qu’on a fait individuellement dans la norme dans la discipline. Le fait qu’il y ait une codirection entre deux facultés représente donc une transformation, dans un sens, pour une université qui vise à reconnaître les contributions non traditionnelles ou non conventionnelles auprès de la communauté scientifique. Cela démontre aussi que l’université mise un peu moins sur l’idée du chercheur ou de la chercheuse comme héros individuel dans son laboratoire avec son équipe, et de plus en plus sur les croisements et les collaborations.

« Je voudrais aussi ajouter que je suis très chanceux et que j’ai été très impressionné par l’accueil de l’écosystème du CRIEM à mon égard. Je pense que le CRIEM représente quelque chose de vraiment important pour les universités, soit un espace où les chemins se croisent de manière substantielle et permettent des interactions de fond. Nous avons une bonne institution avec le CRIEM et une super bonne équipe, donc je suis content. Ça me fait vraiment plaisir de travailler avec toutes ces personnes. »

Quelles sont les implications concrètes de cette nouvelle alliance bifacultaire pour le CRIEM?

..: « À court terme, on pourra bénéficier de l’appui et des idées d’un autre doyen — Jim Nicell. Dans la structure universitaire, les doyen·ne·s jouent un rôle très important. Entre la haute administration et les chercheur·se·s, ce sont les doyen·ne·s qui décident de tout. Il y a un très grand respect dans la structure universitaire envers la décision qu’il·elle·s prennent dans les orientations, les stratégies. Ce changement implique des choses assez pratiques et administratives reliés à notre rapport annuel, etc.

« Ce qui est plus intéressant, c’est que cette nouvelle assise bifacultaire va nous aider à faire émerger des projets de recherche entre les deux facultés et à faire reconnaître le CRIEM comme un centre fédérateur, dont l’objet, Montréal, est en quelque sorte “transversal”, un objet complexe qui doit bénéficier d’éclairages multiples. Nous aimerions aller encore plus loin et élargir dans le futur les assises du centre, faire en sorte qu’il puisse agir comme une plateforme d’échange entre les facultés d’une part, et entre les facultés et les acteurs locaux d’autre part.

« L’entrée de Nik Luka au sein de l’équipe de direction va également nous aider à mieux saisir ce qui se passe et se planifie du côté de la 󲹳ܱé de génie. Quand on ne sait pas quels sont les grands les grands enjeux d’une faculté, on a de la difficulté à s’y arrimer, à proposer des projets qui soient porteurs pour son développement. Le fait qu’il y ait cette reconnaissance officielle, mais surtout un enthousiasme senti de la part de la 󲹳ܱé de génie envers nos travaux, ça fait en sorte que le CRIEM pourra mieux prendre en compte ce qui se fait de ce côté-là. »

..: « C’est intéressant parce que ce n’est pas un grand changement structurel. Le CRIEM reste toujours dans la 󲹳ܱé des arts, officiellement, mais le doyen de la 󲹳ܱé de génie siège maintenant à notre conseil d’administration. Cela veut dire qu’il y a une reconnaissance et une “incarnation” du désir de soutenir les collaborations entre ces facultés. Le CRIEM travaille beaucoup sur les questions de l’espace urbain/suburbain en étant un centre de recherche qui s’intéresse au fait montréalais. Dans la 󲹳ܱé de génie, on retrouve souvent la mise en application de ces questions, ainsi que des travaux de recherche ou des activités pédagogiques qui portent sur la ville. Il y a un intérêt grandissant dans la 󲹳ܱé de génie – surtout en architecture et en urbanisme – de s’infuser des savoir-faire, des façons de réfléchir et des questions que l’on trouve dans les sciences humaines.

« L’alliance bifacultaire du CRIEM implique des activités de partage dans les cours, dans les programmes et dans les projets de recherche, mais surtout dans les événements que nous organisons, tels que des séminaires, des conférences, des ateliers, des mini-colloques, etc. L’idée, c’est qu’il y ait à la fois des activités à huis clos [pour les membres du CRIEM et des facultés concernées] et des activités ouvertes à tou·te·s. Également, il y a tellement de choses qui se passent à Montréal et dans les universités comme ϲʿ, dans une ville comme Montréal, que cela crée une concurrence un peu méchante au sens où le public ne peut pas assister à tous les événements qui l’intéressent. Le CRIEM est donc en train de créer des collaborations permettant d’attirer un plus grand public et d’effectuer des croisements stratégiques entre spécialistes sur le plan du contenu. Par exemple, quelqu’un qui travaille sur les infrastructures dures et qui s'intéresse aux débats politiques autour de ces projets pourra faire appel à des collègues en anthropologie, en histoire ou en études littéraires – et réciproquement.

« Notre alliance bifacultaire est également importante parce qu’il y a toujours la pression, surtout en ce moment, de rendre les universités plus productives, de se concentrer sur la pratique, de faire rouler l’économie, etc. La collaboration bifacultaire peut aider la 󲹳ܱé des arts à se positionner comme une faculté qui informe les débats sans qu’elle se transforme. Elle renforce l’importance d’une réflexion qui ne peut pas être instrumentalisée. Nous espérons créer et nourrir des espaces pour parler des conséquences de la réflexion critique sur les prises de décision en urbanisme, en aménagement ou en architecture, tout en reconnaissant le besoin de ce recul et des perspectives critiques, philosophiques, etc. C’est ce que j’espère. »

Quelles sont les perspectives d’avenir du CRIEM? Avez-vous des vœux pour le centre dans les prochaines années?

..: « Si j’avais à parler de rêve pour moi, c’est d’un côté que l’Université ϲʿ prenne vraiment conscience de l’immense potentiel que ça représente comme plateforme de collaboration transdisciplinaire et intersectorielle. Je souhaite que la Ville de Montréal prenne également conscience de ce potentiel, et qu’elle nous utilise! Le CRIEM souhaite être une passerelle permanente où les liens se renforcent, se nourrissent à travers plusieurs projets. Bien sûr, il y a des obstacles. Les cycles électoraux et les impératifs, pour les élu·e·s, de faire la preuve de retombées concrètes avant les élections, s’arriment très mal, par exemple, avec le temps de la recherche, ses impératifs, sa lenteur, parfois.

« Or cet arrimage est problématique, mais non impossible, pour autant qu’il y ait des discussions et une relation de confiance qui s’établissent et se déploient dans le temps. C’est là que l’interface CRIEM devient cruciale : un·e chercheur·se isolé·e n’a pas le temps et rarement les capacités d’établir un lien de confiance, de le nourrir et de le rendre permanent. Il·elle a un projet de recherche, ou deux, ou trois, il·elle cherche des partenaires à la pièce et, une fois son ou ses projets terminés, très souvent, la relation avec les partenaires s’étiole. Un centre comme le CRIEM est là pour aider les chercheur·se·s et les administrateur·rice·s à se trouver, à se rencontrer, à établir une discussion féconde, puis il reste là après la fin du projet de recherche ponctuel pour continuer de nourrir la relation avec le partenaire et relancer celle-ci avec d’autres projets. »

..: « Premièrement, je pense que c’est dans notre intérêt d’aller plus loin avec nos engagements et nos activités pour conjuguer l’université avec la ville et les communautés, en plus de créer et de soutenir des instances de collaboration, d’engager, de partager et de faire en sorte que nous, dans les universités, comprenions les forces qui existent dans la société civile et le savoir-faire de monsieur et madame tout-le-monde. La démarche la plus stratégique, afin d’ouvrir l’université vers la ville, c’est vraiment l’apprentissage expérientiel pour les étudiant·e·s, ainsi que pour les chercheur·se·s et les professeur·e·s. Comment la ville peut-elle nourrir l’université? Comment l’université peut-elle redonner aux Montréalais·es et aux contribuables du Québec qui font fonctionner l’université? L’université doit s’ouvrir et accueillir les gens, elle doit profiter du fait qu’elle évolue dans le milieu extraordinaire qu’est Montréal. Pourquoi ne pas pousser ça plus loin?

« Deuxièmement, il y a plusieurs questions de nos jours concernant comment repenser la pédagogie. Globalement, la pandémie, les bouleversements depuis cinq ans, les réflexions autour de Black Lives Matter et de la vérité et la réconciliation, exigent des changements fondamentaux dans le fonctionnement des universités. C’est une priorité pour nous au CRIEM et ça fait partie de la justification, de la problématique et du discours de légitimité derrière notre alliance bifacultaire.

« Troisièmement, l’objectif n’est pas d’avoir un centre de recherche qui s’appuie sur deux facultés et qui exclut des autres. Nous souhaitons explorer les façons de créer des infrastructures qui peuvent soutenir les collaborations entre les facultés, ce qui ne veut pas dire que nous voulons avoir un centre qui s’appuie sur chacune des facultés de ϲʿ. »

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